C’est toujours avec beaucoup de passion dans la voix qu’Ugochi Emeka évoquait parlait des héros noirs, surtout les morts, ceux-là même qui avaient changé le cours de l’histoire. Elle pensait à Ruben Um Nyobe, à Félix-Roland Moumié, à Ernest Ouandié, à Herbert Macauley, à Ahmadu Bello, à Thomas Sankara et, à bien d’autres. Ils faisaient la fierté des Africains. Jamais, ô grand jamais, elle ne s’était imaginé qu’un jour, elle serait forcé de constater qu’ils ne faisaient pas l’unanimité. C’est sa soeur, Chimi Emeka qui fut le messager de la mauvaise nouvelle.
«Sista, toi qui te bats contre l’autodétermination et la promotion de l’image d’une Afrique positive,tu as vu ce qui se passe au Cameroun ?»
Chimi Emeka venait d’envoyer un enregistrement audio sur Whatsapp à sa sœur aînée. Elle ne le vit pas aussitôt car, elle préparait une rencontre professionnelle qu’elle avait le lendemain avec un client. Son téléphone était en mode silencieux et enfoui dans son sac à main. Deux heures plus tard, quand elle émergea de sa bulle, elle parcourut sa boîte de messagerie WhatsApp. Elle écouta la note vocale de sa soeur et lui répondit immédiatement.
«Chimi, qu’est-ce qui se passe au Cameroun?» En guise de réponse, elle reçut la vidéo qui faisait le buzz sur la toile. Elle avait été prise par des témoins de la scène qui avaient vite fait de partager la vidéo sur les réseaux sociaux.
Sous l’effet du stress, Ugochi tirait sur ses cheveux tandis que la vidéo téléchargeait. Elle regardait le cercle vert se remplir en quelques secondes qui lui parurent interminables. Elle cliqua rapidement sur le triangle vert pour lire la vidéo. Son mari entra dans la chambre quand elle finissait de regarder la vidéo. Il vit sa femme assise de l’autre côté de la porte d’entrée et lui sourit. Elle ne le vit pas. Elle était assise sur le lit. Son ordinateur un petit tabouret qu’elle utilisait quand elle travaillait sur son lit. En quelques enjambées, il rejoint le lit. La penderie et la table de travail se trouvaient sur le côté de la pièce. La porte de la salle de bain était fermée. Au-dessus du lit, on pouvait voir leur photo de mariage.
L’homme s’assit sur le lit, se rapprocha de sa femme, se pencha vers elle pour lui faire la bise. Il en profita pour jeter un coup d’œil à la vidéo. Il lui demanda ce qu’elle regardait.
Ugochi secoua la tête : «Le dernier buzz!».
«Ah, bon! Raconte». Ses yeux s’écarquillèrent d’intérêt, comme s’il voulait vraiment entendre son histoire. Elle lui raconta que Chimi la lui avait envoyée sur WhatsApp. Apparemment, des chefs dualas avaient détruit les fondations d’un monument qu’on devait érigé à la mémoire de Ruben Um Nyobe.
«Qui est-ce?»
Moi-non plus, je ne connaissais pas vraiment son histoire. J’ai dû faire des recherches. Elle lui dit qu’il avait été l’un des leaders de la lutte indépendantistes pendant la période coloniale. Il a été le secrétaire général du parti politique l’Union du Peuple Camerounais. Il a d’ailleurs été au siège des Nations Unies à New-York pour dénoncer la colonisation et exiger l’indépendance. Il en a d’ailleurs payé de sa vie, puisque les Français ont commencé à persécuter l’UPC en 1955. On sait tous comment cela s’est terminé.
Son mari farfouilla son téléphone pendant quelques minutes et revint avec une information: «Une statue a été érigée en sa mémoire à Eséka, ce qui est pas mal, je trouve».
Ugochi hocha du chef, baissa la tête vers son ordinateur. Son index faisait glisser la souris sur le tapis. Son regard, dirigé vers l’ordinateur se déplaçait lentement de la gauche vers la droite. Elle faisait descendre la page puis, s’arrêtait et lisait. Pendant la lecture, elle laissait parfois échapper des mmhh. Elle finit par sortir la tête de son ordinateur.
Elle expliqua à son mari que l’idée générale qui ressortait des commentaires en bas de la vidéo. Parmi les Camerounais qui avaient commenté la vidéo, certains pensaient que les chefs auraient pu détruire la statue du soldat inconnu qui se trouvait à Bonanjo s’ils étaient autant offusqués. Ce qui les choquait c’était leur explication de vouloir privilégier les héros dualas.
Son mari l’écoutait religieusement. Il touchait de temps en temps son bras pour l’apaiser. Ne sachant quoi lui dire, il évitait souvent de prendre position quant aux questions qui concernaient l’Afrique. Il se contentait alors de calmer son épouse, lui proposer une tasse de chocolat chaud ou à appuyer ses arguments, en les répétant. Il ne voulait pas être traité de colonisateur. Il fit encore une recherche rapide sur internet pour trouver des monuments et en trouva quelques-uns: le monument de la Renaissance à Dakar, le monument aux martyrs et aux héros nationaux à Ouagadougou, le Mémorial Modibo Keita à Bamako. Il n’y avait effectivement que très peu de monuments à la mémoire de héros. Ugochi voulait voir. Elle ignorait qu’il y en avait autant. Son mari lui tendit son téléphone. Elle déposa l’ordinateur sur sa table de nuit et se glissa vers son époux qui la prit dans ses bras. Ils lirent ensemble l’article qu’elle partagea avec sa soeur: «il y a encore de l’espoir, petite soeur». Chimi lui répondit avec un smiley et ce fut la fin de la discussion.
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