Le chef Makoun pressa les notables autour de lui. L’heure était grave. L’ennemi se pressait à leurs portes et les troupes du village Alphakoun n’étaient pas complètes. Certains chasseurs étaient allés en brousse depuis des semaines à la recherche de gibiers et on ne les avait pas revus. “Avaient-ils disparu ?” Personne ne le savait exactement. Toujours est-il que les recherches avaient été vaines.
-Très chers notables, l’heure est grave. Les villages voisins ont été terrassés par l’ennemi aux cheveux de feu. Le messager de Sophou a pu s’échapper avant que son village ne soit pris d’assaut. Il m’a conté que le chef Ziouphan a signé un contrat avec eux et que, plus tard, ils l’ont dupé. Comme il refusa de leur céder les terres du village, car c’était de cela dont il était question, quelques jours plus tard les étrangers attaquèrent le village et tuèrent le chef et une grande partie de la population .
D’un seul homme, les 6 notables se redressèrent sur leur siège, rabattirent leurs dos vers l’avant en couvrant d’une main leurs bouches entrouvertes. C’était leur façon à eux de manifester leur étonnement quant à la révélation que leur faisait l’honorable Makoun. Il était chef depuis 20 ans et c’était la première fois qu’il devait affronter une menace aussi grande. Dans sa grande sagesse, il avait envoyé des espions recueillir des informations dans les villages voisins. Ils avaient aussi pour mission de délivrer des messages à ses confrères chefs afin de former une alliance rapide et une armée pour combattre l’ennemi. L’heure de la confrontation approchait à grands pas. Cinq villages étaient déjà tombés. L’ennemi disposait d’une arme qui crachait des boules qui transperçaient la chair et vous tuaient sur le champ. Le chef avait peur pour son village. Ils n’avaient que des flèches, des machettes et des lance-pierres. “Advienne que pourra”. Ils ne pouvaient que se remettre qu’entre les mains des Dieux d’Alphakoun.
Le soir arriva enfin. Tout le monde était sur le qui-vive. Les femmes ne chantaient plus pendant qu’elles pilaient l’igname, les hommes ne s’asseyaient plus sur la place publique du village. Même les cris des enfants s’étaient tus. Ils attendaient dans leurs chambres qu’on les appelle pour le repas. Les nouveau-nés ne pleuraient plus comme si, eux aussi, saisissaient la gravité de la situation. Le village était calme. On entendait presque les moustiques voler alentour. Il n’y avait qu’eux qui restaient indifférents face à la gravité de la situation. La nuit était maintenant noire. La cour était vide quand, soudain, une rumeur éclata au loin, elle devenait de plus en plus distincte. On entendait des pas s’approcher du village.
Une voix tonitruante interpella le chef du village. ” Chef Makoun. Rendez-vous!” Le chef sursauta. Il n’avait pas peur. Cette voix… Elle lui semblait familière. Était-ce celle du chasseur Mfo? Non! Il devait faire erreur. Les chasseurs étaient portés disparus.
On l’appela à nouveau. Alors, il sortit hors de sa case et fit un bond en arrière devant sa découverte. “Les chasseurs !”
Oui sous ses yeux, s’alignaient en rangs serrés les chasseurs du village. Ils le regardaient sans le voir, les yeux vitreux. Ils ne semblaient pas reconnaître leur chef. Ce dernier ne comprenait pas pourquoi ils l’attaquaient. Il soupçonna qu’ils avaient été sous l’emprise d’une puissance invisible. Sinon, comment comprendre qu’ils braquaient leurs armes contre leur peuple? Contre leur chef?
Il ne lui fallut pas plus de cinq minutes pour confirmer ses soupçons. Un des gardes flancha, semblait recouvrer ses esprits. Il vit un homme aux cheveux de feu lui enfoncer une herbe dans la bouche. Ce dernier se redressa alors, le regard plein de haine.
Avant qu’il puisse y réfléchir, l’homme aux cheveux de feu fendit les rangs et le rejoignit devant.
“Donnez-nous vos terres ou vous mourrez!” Fut la seule chose qu’il entendit.
Le chef ouvrit la bouche. Avant qu’il eut articulé un mot, il sentit une pression sur son bras et un bruit strident. Il ne pouvait l’ignorer.
“Drinnnnnnng”. Le réveil sonna dans un appartement de Douala et un chien se pressait contre son maître. Makoun ouvrit les yeux. À moitié endormi, il caressa son chien sans qui il aurait dormi pendant des heures. “Quel drôle de rêve !” pensa le jeune professeur d’histoire. ” J’ai un peu trop lu sur la colonisation, je crois “.
Il se leva difficilement sur son lit et s’en alla à la salle de bain.
Muriel Mben
2017
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