Afrofuturisme ou comment repenser le futur des Africains?

Sep 7, 2021

Comment repenser le futur des Africains par l’afrofuturisme

En lisant Rouge impératrice de Léonora Miano, j’ai découvert l’afrofuturisme. La description positive de l’Afrique, les thèmes et la manière de les traiter ont attisé ma curiosité. Séduite par ce genre littéraire, j’ai décidé d’en apprendre un peu plus et de partager avec vous le résultat de mes recherches. Dans cet article, je m’intéresse globalement à la définition du mot, à son origine, ses caractéristiques, la réception dans la communauté africaine et les utilisateurs.

La littérature a différentes fonctions pour le lecteur et pour l’écrivain. Pour le premier, elle lui permet de se distraire, de s’évader dans de nouveaux mondes ou d’apprendre de nouvelles choses. Pour le deuxième, c’est un outil d’évasion aussi, un moyen pour véhiculer certaines idées ou théories. Qu’il soit engagé ou pas, l’auteur amène le lecteur à se poser certaines questions. C’est le cas de la majeure partie des romans que j’ai lus. Je peux citer Riwan ou chemin de sable de Ken Bugul, Le ventre de l’atlantique de Fatou Diome et Temps de chien de Patrice Nganang, etc. Cette littérature, pour la plupart d’auteurs africains, m’a permis d’en apprendre un peu plus sur la colonisation, l’immigration, les problèmes sociaux au Cameroun, au Sénégal, la place de la femme dans l’espace public et privé. Ces trois  romans sont basés sur le vécu des Africains, sur la réalité. 

L’Afrique est souvent dépeinte en noire dans les médias. On la représente généralement avec ses guerres, ses famines, sa pauvreté. On voit généralement peu le côté positif. Même les Noirs sont représentés comme des bandits de grands chemins,  des fainéants. On ne parle pas des héros de la décolonisation, des reines africaines, des entrepreneurs qui changent la face du continent, la diaspora incluse. Pourtant tout n’est pas sombre. L’afrofuturisme  comme genre littéraire contribue à changer la donne en représentant une autre expérience de la communauté noire.

 

L’Afrofuturisme, s’il reprend certains codes de la fiction, est plus spéculatif et tourné vers le futur. Le mot a été créé par le critique américain Mark Dery en 1994 pour désigner une œuvre spéculative qui aborde les problématiques afro-américaines et inventer un futur positif pour les Noirs. Selon Achille Mbembe,  l’afrofuturisme «combine science-fiction, techno-culture, réalisme magique et cosmologies non européennes, dans le but d’interroger le passé des peuples dits de couleur et leur condition dans le présent» (Mbembe, 125). Ce genre leur permet donc de réinventer leur futur en des termes plus positifs en s’inspirant de leur passé, de leur culture, bref de leur histoire. L’afrofuturisme n’est pas qu’ imaginaire étant donné qu’il puise dans l’héritage culturel et réel de la communauté noire (en Afrique ou en Amérique). Dans son roman Rouge impératrice, par exemple, Léonora Miano dépeint une Afrique unifiée et plus prospère, une Afrique dans laquelle tous les personnages portent des noms «africains», s’habillent avec des habits cousus localement et nommés par des noms africains.

Mais l’afrofuturisme n’est pas seulement utilisé en littérature. On le retrouve aussi dans la musique avec Janelle Monáe, Erykah Badu ou Outkast. Dans les arts visuels, on peut citer le film Black Panther. En peinture, le peintre américain Jean-Michel Basquiat l’a aussi utilisé. 

En plus des problématiques évoquées, on y retrouve aussi des thèmes afrocentristes, et des questions de race. Dery expliquait, par exemple, que la technologie a souvent été utilisée pour nuire aux Noirs par des étrangers et que cela pouvait inspirer les romans afrofuturistes. En gros, les Noirs peuvent s’inspirer de leur vécu dans la littérature en parlant par exemple de l’esclavage, de la colonisation,etc. Mais l’afrofuturisme pointe aussi du doigt des vérités non dite sur des inventions noires par exemple.

Si le mot a été créé par un américain, il n’en reste pas moins que, sur le continent africain, des artistes noirs exploitent ce genre. En littérature, la Nigériane Nnedi Okorafor s’est déjà établie comme référence dans la science-fiction même si elle conteste l’utilisation du mot afrofuturisme et se réclame plus de l’africanfuturisme, concept à définir dans un prochain article. En dehors d’elle, la camerounaise Léonora Miano s’est aussi essayée à ce genre. Achille Mbembe salue l’avènement de ce genre qui, pour lui, permettra de redéfinir l’imaginaire africain. Felwine Sarr épouse également la même philosophie. 

L’afrofuturisme suscite de l’engouement auprès des artistes africains dans la mode, la musique, l’industrie du jeu vidéo. J’ai été surprise de constater que c’était un phénomène bien établi en Afrique alors que je le découvre à peine. J’ai découvert la styliste sénégalaise Selly Raby Kane, l’auteur Felwine Sarr, etc. Bien que ce soit limité à l’art, l’afrofuturisme, à travers la mission qu’il s’est donnée, permet aux consommateurs de développer une nouvelle estime de soi et une meilleure connaissance de leurs problématiques, de leur histoire, ce qui est aussi motivant pour tout être humain. 

 

Sources

Dery, Mark. Black to the future: Interviews with Samuel R. Delay, Greg Tate, and Tricia Rose. Flame Wars. The Discourse of Cyberculture. Duke University Press, pp. 180-221 Pp. 180-221, 1994.

 

Miano, Léonora. Rouge impératrice. Édition Grasset & Fasquelle, 2019. Imprimé.

 

Mbembe, Achille.«Afrofuturisme et devenir-nègre du monde » Revue Politique africaine, no 136, décembre 2014.

 

Nasser, Shaken Adel. Reimagining African Identity through Afrofuturism: A Reading of Nnedi Okorafor’s Binti. Journal of scientific research in arts, language & literature, 2021, pp. 166-176.

 

Thiam, Cathy.Arts: qu’est-ce l’afrofuturisme ? 2016 https://www.jeuneafrique.com/mag/369265/culture/arts-quest-ce-que-lafrofuturisme/ 

 

Van Veen, Thomas C. Afrofuturism: The World of Black Sci-Fi and Fantasy Culture. Dancecult: Journal of Electronic Dance Music Culture 2 (5) 2013, 152-168.

 

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2 Comments

  1. Sanzhie Bokally

    Merci pour la découverte. Je comprends mieux le titre Afrotopia du livre de Felwine.

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    • murielmb

      De rien! Ce livre, je dois le lire.

      Reply

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