En fin 2021, j’ai lu deux romans féministes qui m’ont à la fois bouleversée et émue tant à cause de la qualité de l’écriture que de leurs thématiques. Les auteures dont les récits se déroulent dans sur des continents différents mettent en scène des femmes qui partagent la même souffrance. Cette coïncidence m’a interpellée et je me suis demandée, comment, malgré la distance, elles subissent le même traitement ? C’est quoi être une femme aujourd’hui ? Quels sont les privilèges dont elles sont privées ? Quel est leur crime? Les deux romans, Les impatientes et Les putes voilées n’iront jamais au paradis tentent de donner des éléments de réponse à ces questions.
Résumé des œuvres
Le roman Les impatientes raconte l’histoire de trois femmes qui vivent au Nord-Cameroun et dont la vie va changer à cause du mariage. Deux sœurs, Ramla et Safira, sont confrontées au mariage forcé au travers de leur père qui les offre à des hommes qu’elles n’aiment pas alors qu’elles sont encore jeunes. L’une épousera un monsieur pouvant être son père. Elle arrivera dans un foyer désormais polygamique dans lequel elle n’échappera pas à la rivalité de sa coépouse Safira qui multipliera les intrigues pour la faire déguerpir. Cette coépouse dont la narratrice contera aussi l’histoire, ou du moins son regard sur cette intruse qui vient lui voler son mari. La deuxième histoire, celle de Hindou qui est aussi mariée, de force, à Moubarak, son cousin, un homme de la pire espèce, un alcoolique et un homme violent. Elle connaîtra les coups, l’humiliation, le viol et le mépris des siens qui ignoreront sa souffrance.
Les putes voilées n’iront jamais au paradis de Chahdortt Djavann est un recueil d’histoires violentes et poignantes. C’est le récit de plusieurs prostituées qui le sont devenues par la force des choses, parce qu’elles n’avaient pas le choix, parce qu’elles sont des femmes. La narratrice donne la parole à chaque prostituée qui raconte sa vie, les circonstances qui les ont menées à ce métier. Elles racontent aussi leur pays, l’Iran, l’hypocrisie sociétale de ces hommes qui font et défont les lois, enfermant les femmes dans des cases dont elles sont prisonnières.
Être femme
Dans les deux récits, la femme a un destin bien triste, un destin qui manque d’intéret parce qu’elle vit dans une société qui ne la considère pas. Hava, l’une des prostituées du roman Les putes voilées n’iront jamais au paradis déclare:
« … L’humiliation féminine est devenue générale et nationale dans notre pays, puisque ce sont les lois elles-mêmes qui écrasent les femmes, leur dérobent les droits les plus élémentaires et les définissent comme des sous-hommes. On est bonne à être mariée, donc forniquée, dès neuf ans, pendue ou lapidée dès douze ans, mais à vingt ans on ne dispose pas de son cul. Femme, vous ne disposez jamais de votre corps ni de votre vie dans ce pays. La loi vous l’interdit.» (Les putes, p.99)
Les femmes sont donc muselées par la société. Maltraitées, elles doivent supporter les coups que les hommes leur infligent dans le mariage, au travail, dans la rue. Se taire. Sois femme et tais-toi, dirait-on en refermant ces deux romans. Le viol rôde autour d’elle et elles ne sont à l’abri nulle part.
Le lecteur réalise aussi que la beauté féminine attire le regard concupiscent de l’homme qui lui interdit pourtant tout. Intéressé, il tourne autour de sa cible, chose qui est redoutée dans les deux romans. La beauté de la femme la condamne à un destin bien sombre.
« Vu sa grande beauté [Celle de Zahra], son père la maria à douze ans, alors qu’elle n’avait pas encore eu ses règles et que ses seins n’avaient pas poussé. « Une fille si belle est un danger permanent, une tentation diabolique même pour ses propres frères, disait-on. » (Les putes, p.10).
Cet extrait montre que le père veut vite s’en débarrasser en en confiant la responsabilité à un mari. Ce père craint le déshonneur que sa fille pourrait apporter dans sa famille si elle a des relations hors-mariage. La femme est considérée comme un objet incontrôlable, et irresponsable que le père se dépêche de marier sans son consentement. Rien de nouveau sous le soleil, direz-vous, et pourtant, ces histoires apparemment banales sont le quotidien de certaines femmes au 21ème siècle. Ces femmes dont la seule fonction est d’assouvir la concupiscence des hommes.
Dans les deux romans, les auteures dépeignent aussi l’avenir professionnel bouché des protagonistes féminines. Dans Les putes voilées n’iront jamais au paradis, faire le ménage et la prostitution, ou les deux en même temps semble leur seule option. Personne ne les emploie, puisque, de toutes les façons, elles n’ont aucun diplôme. Elles ne vont pas à l’école. Ainsi, elles tournent en rond et ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur famille. Le constat est le même au Cameroun: « Quel ennui! La vie coule et tous les jours se ressemblent. Nous n’avons rien à faire sinon faire la cuisine et nous occuper des enfants. La monotonie nous assomme et nous tue du matin jusqu’au soir, et du soir jusqu’au matin. » (Les impatientes). Dans Les impatientes, Ramla veut aller loin dans ses études. Elle s’entête quand on lui annonce son mariage mais, voyant que son entêtement menace l’avenir d’épouse de sa mère, elle est contrainte de céder.
Dans les deux romans, le corps de la femme est un objet de préoccupation constant dans la société camerounaise et iranienne. Il attire, il questionne, il effraie par la force: «Habiter un corps de femme, dans l’immense majorité des pays musulmans est en soi une faute. Une culpabilité. Avoir un corps de femme vous coûte très cher, et vous en payez le prix toute votre vie.» (Les putes, p.100-101)
La polygamie
J’ai lu quelques romans sur la polygamie comme Une si longue lettre de Mariama Bâ et Riwan ou le chemin de sable de Ken Bugul et j’avoue que Djaïli Amadou Amil traite le sujet sous un angle qui m’a interpellée. En effet, elle insiste sur la répudiation constante qui plane sur la tête des épouses. En effet, si le mari s’estime lésé ou s’il n’apprécie pas le comportement d’une de ses femmes, il est libre de la renvoyer chez elle. C’est ainsi que la maman de Ramla est contrainte au silence quand sa fille lutte contre son mariage. Pourtant, elle la comprend, ayant elle-même été à sa place. Pour mieux supporter sa condition, sa mère lui donne un conseil : « Il est difficile le chemin de vie des femmes, ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. À toi de trouver une solution pour rendre ta vie acceptable. C’est ce que j’ai fait, moi, durant toutes ces années. J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs. » (Les impatientes, p.121). Ce conseil qui se lit aussi comme un aveu, témoigne d’un renoncement à soi, et une souffrance. Le mariage forcé tue les femmes à petit feu qui se consument dans le respect des traditions. Mais si elle parle, elle et ses enfants seront chassés, chose inimaginable puisqu’elle dépend financièrement de son mari. Le système bloque les femmes et les empêche de se mouvoir, de remettre en cause les injustices qu’elles expérimentent. D’ailleurs, le veulent-elles vraiment ? Au fil de la lecture du roman Les impatientes, on remarque que certaines femmes appuient la décision des hommes par leur attitude et leur commentaire. Quand Hindou craque et supplie son père de lui épargner ce mariage, un oncle lui dira: « Ça suffit ces enfantillages, […] Tu me déçois beaucoup, Hindou. Toi qu’on disait sage.» (Les impatientes, p.89)
De plus, la narratrice décrit aussi la rivalité inutile qui existe entre les coépouses qui veulent rester la préférée. Le lecteur le voit aussi bien dans le mariage de Dadiyel, la mère de Ramla que dans celui de Safira. Safira, montera les pires intrigues contre Ramla pour que leur mari la chasse du foyer. Elle n’hésitera pas à mentir et à voler pour y arriver. Safira est convaincue que sa coépouse a consenti à ce mariage, qu’elle veut lui arracher son mari. J’ai haussé plusieurs fois les sourcils à ces moments. Ignore-t-elle la condition des femmes? Fait-elle semblant? Pouvait-elle vraiment le savoir? J’avais l’avantage d’avoir lu les conditions entourant l’union de Ramla à Alhadji Issa. Mais j’étais légèrement remontée de la voir détruire une autre femme, la punir pour une chose qu’elle n’avait pas choisie. Pourtant, si elle devait s’en prendre à quelqu’un, ç’aurait dû être son mari. Mais, Ramla était sûrement une cible facile, elle payait pour les péchés de l’homme. Elle n’avait aucun pouvoir sur elle.
Ce roman remet en question la pertinence des mariages polygamiques toxiques pour les femmes. Dans ces deux récits, ils étouffent les femmes et les enfants, les opposant les uns aux autres. Ces deux romans pointent du doigt des réalités qui existent encore, au 21ème siècle. Bien que nous voulions tous lire des livres à l’issu favorable, il est tout aussi important de continuer de dénoncer ces fléaux.
Citations tirées du roman Les impatientes
« Patience, mes filles! Munyal! Intégrez-la dans votre vie future. Inscrivez-la dans votre cœur, répétez-la dans votre esprit. Munyal! Telle est la seule valeur du mariage et de la vie. Telle est la vraie valeur de notre religion, de nos coutumes, du pulaaku. Munyal, vous ne devrez jamais l’oublier. Munyal, mes filles! Car la patience est une vertu. » (p.83)
« O mon père, pourquoi moi? Te serait-il venu à l’esprit que je pourrais ne pas être d’accord? Et que j’en avais le droit? Je n’aime pas Moubarak. Pire, je le déteste.» (p.85)
« Il est difficile le chemin de vie des femmes, ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où ne le cultivons. À toi de trouver une solution pour rendre ta vie acceptable. C’est ce que j’ai fait, moi, durant toutes ces années. J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs. »
« Personne ne fut scandalisé par mon état. Ce n’était pas un crime. Moubarak avait tous les droits sur moi et il n’avait fait que se conformer à ses devoirs conjugaux. Il avait certes été un peu brutal mais c’était un jeune homme en bonne santé et viril. En plus, j’étais belle comme un cœur! » (p.94)
« Ce n’est pas un viol. C’est une preuve d’amour. » p.95
« On la distribue à toute la famille et en particulier aux jeunes filles pour leur montrer que, moi Hindou, j’avais su rester vierge jusqu’au mariage. Une manière de les exhorter à faire de même. »p.96
«Au contraire, ils sont plutôt contents d’avoir accompli sans faille leur devoir. Depuis notre enfance, ils n’attendent que ce moment où ils pourront enfin se décharger de leurs responsabilités en nous confiant, vierges, à un autre homme. » p.21
«Quand mes soeurs abandonnaient leurs études le plus tot possible, sans chercher à désobéir à mon père, et quand elles acceptaient d’épouser l’homme que lui ou l’un de mes oncles avait choisi pour elles, car elles s’intéréssaient davantage aux aspects matériels du mariage, les cadeaux ou le design de leur futur intérieur, je m’obsitnais à aller au collège. » p.33
« Quel ennui! La vie coule et tous les jours se ressemblent. Nous n’avons rien à faire sinon faire la cuisine et nous occuper des enfants. La monotonie nous assomme et nous tue du matin jusqu’au soir, et du soir jusqu’au matin. »
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